Nord Stream-2 : l’unité de l’Union européenne en question ?
La signature le 4 septembre 2015 de l’accord portant sur la construction du deuxième tronçon du gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique ne fait toujours pas l’unanimité dans les capitales européennes. Alors que l’Allemagne, la France, l’Autriche et la Grande-Bretagne, signataires principaux, proclament haut et fort que le futur gazoduc contribuera à un approvisionnement stable de l’Europe en gaz et renforcera, ainsi sa sécurité énergétique, les pays d’Europe centrale et orientale voient dans cet accord une menace à l’unité des pays membres de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne leur politique énergétique commune, toujours à l’état embryonnaire. Ce qui pourrait mettre fin au projet de création de l’Union énergétique, désespérément promu par Bruxelles ces dernières années.
Les tensions émergent à plusieurs niveaux, et révèlent une dimension à la fois politique et économique. La Pologne, la Slovaquie, la Bulgarie ou encore la Hongrie accusent le gouvernement allemand d’avoir apporté son soutien à ses compagnies énergétiques que sont E. ON et BASF-Wintershall quant à la promotion du projet énergétique russe au moment même où la crise russo-ukrainienne continue, et où Berlin soutient officiellement Kiev. Outre ce décalage qui se dessine entre la politique extérieure de Berlin et ses intérêts économiques, l’Allemagne est accusée de vouloir obtenir une part importante du « gâteau gazier » russe au détriment des intérêts économiques des autres acteurs de la zone. Ainsi, si l’Allemagne s’est opposée au projet de gazoduc South Stream (aujourd’hui annulé) qui devait alimenter les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en gaz russe, elle a soutenu la construction de Nord Stream-2, qui renforce Nord Stream-1 et donc sa relation privilégiée avec la Russie en matière de gaz naturel. Son opposition à South Stream a, d’une part, remis en question la sécurité énergétique des PECO et, d’autre part, les a privés des bénéfices liés au transit via leurs territoires. Si le projet parvient à se concrétiser, l’Ukraine, qui demeure toujours l’un des principaux pays de passage des hydrocarbures russes, pourrait perdre plus de 2 milliards de dollars par an.
Les limites de la politique énergétique commune de l’Union européenne
Les relations privilégiées des géants énergétiques européens tels que OMV, ENGIE (ex-Gaz de France) ou encore E. ON avec Moscou, héritées de l’époque soviétique, et toute une série d’accords bilatéraux que leurs gouvernements respectifs ont conclu avec Gazprom, continuent à peser sur la cohésion des pays de l’Union européenne. Selon les partisans d’une approche plus ferme dans les relations avec Moscou, ces liens forts avec Gazprom représentent un vrai défi pour la mise en place d’une politique énergétique commune et, par conséquent pour l’Union européenne. Cela empêche l’Europe des 28 de faire front commun, notamment face aux abus de Gazprom, qui profite de sa position dominante sur les marchés gaziers de certains pays d’Europe orientale, pour imposer des prix de gaz « injustement élevés ».
Le plan d’action pour la diplomatie énergétique de l’Union européenne, lancé en juillet 2015 par Federica Mogherini, chef de la politique étrangère de l’UE, prévoit la diversification des sources d’approvisionnement énergétique des Etats membres de l’Union. Les pays centrasiatiques et, notamment ceux riverains de la mer Caspienne, ainsi que de l’Afrique du Nord y sont évoqués comme des sources alternatives d’approvisionnement. Cette stratégie se heurte, cependant au manque d’infrastructure énergétique, qu’il s’agisse du réseau de gazoducs ou des terminaux d’importation de GNL. A cela s’ajoute le manque de motivation de la part de gros consommateurs d’énergie tels l’Allemagne ou la France, dont les liens historiques étroits avec la Russie et l’existence du réseau de pipelines construit au temps de l’Union soviétique (Bratstvo) et élargi dans les années 1990-2000 (Yamal-Europe, Nord Stream), leur permettent d’envisager sereinement leur futur énergétique.